Andoche Praudel
“L’harmonie des sphères”

November - December 2022

Dans la culture japonaise, « l’harmonie », Wa, est le principe qui s’oppose à la dualité, source de discorde. Tous les êtres, comme les choses, du plus petit au plus grand, sont en relations d’interdépendance. Wabi est la beauté qui se découvre dans ce lien. Telle beauté dépend étroitement de l’authenticité du matériau, comme du passage « naturel » du temps. Le passage serait donc celui du temps: saisons du paysage, âges de la vie, métamorphoses de la matière.

En grec, on dit harmonia tou kosmou, « harmonie du cosmos », c’est-à-dire philharmonie, musique du monde. Une ligne circulaire clôt le monde en son ensemble ajusté. Comment ne pas évoquer le cercle Ensô, le cercle zen qui symbolise la plénitude de la simplicité. Il représente l’infini contenu dans la perfection de l’harmonie.

Formellement, la sphère est un volume parfait. A la différence du vase (et du bol, son idéalisation), elle est la forme céramique la plus proche de la sculpture. Dehors tout entière. Alors, relevons le paradoxe, le cercle Ensô n’est jamais « parfait ». Il peut même être « ouvert » et, alors, capable de représenter la beauté du monde! Alors que dans son concept le cercle représente la perfection, une fois dessiné à l’encre ou figuré dans la terre, le cercle parfait, paré d’une « embouchure », devient imparfait ; il est à l’image de la vie, avec un début et une fin, à l’infini.

La céramique est ainsi : nous arrangeons quelques éléments pour les proposer au four; ce qu’il y a peu fut une boule de feu est maintenant éteint et, pourtant, l’étoile morte doit tout à cette lumière qu’à cœur elle conserve, quand l’on a « tué » le feu. Disons que dans le four, un instant, la terre s’immobilise.

Le feu, les étoiles, les pierres qui n’en finissent pas de brûler ; telle est la matière de nos rêves. Ils filent comme l’eau mais leur braise va et vient loin de nous — après nous. Or, la façon dont nous entraîne ce flot qui scintille n’a rien du chaos. Il y a donc en tout art une musique tue et, selon Pythagore, les astres dans leurs mouvements forment une musique céleste. L’art œuvre alors à nous la faire entendre.

Andoche Praudel, Loubignac, 28 septembre 2022